Ça vous a plu ? L’horrible injonction

Ça vous a plu ? L’horrible injonction

Écosystème vivant, complexe, se transformant au rythme des évolutions sociétales et culinaires, le restaurant ne cesse de changer dans sa forme, ses usages, son périmètre. En 80 mots, Bouillant(e)s dresse un portrait qui se rêve exhaustif du restaurant d’aujourd’hui, avec amusement, réflexion, analyse, culture et impertinence. Que pensez-vous de la très redondante question « Ça vous a plu ? » du personnel de salle en retirant votre assiette ? Nous vous donnons ci-dessous notre point de vue… piquant.

Voilà, sur le papier, une bonne intention qui, au fil du repas, se transforme en horrible injonction pour le client. Dans tous les segments de la restauration ou presque, la serveuse ou le serveur a la fâcheuse tendance, lors du retrait des assiettes, à demander si « ça vous a plu ? », désignant l’assiette vide (ou pas) encore posée devant vous. Cet intérêt, parfois réel, parfois feint à force d’être répété sans cesse, semble séduisant pour le mangeur heureux de pouvoir exprimer son ressenti. Car on le sait, à table, le Français devant son plat au restaurant parle avant tout de nourriture, ce qui ne l’empêche pas parfois de dévier vers la politique, le sport ou le cul. À chacun de se reconnaitre et de dresser son propre palmarès. 

Mais cette redondance du « ça vous a plu ? » peut vite devenir usant, voire irritant ou déstabilisant quand la question vient à se répéter pendant toute la durée des agapes. Ne rien répondre relève d’une crasse impolitesse ; s’étendre trop longuement, argumentant sans fin son avis culinaire, et c’est le rythme du service qui en prend un coup. Pire encore la situation où, ô malheur, le client répond ‘non, ce plat ne m’a pas plu. » Patatras, c’est la catastrophe. Le service s’en trouve alors fort démuni, peu habitué à gérer l’avis négatif. Face au client-roi, il ne peut qu’écouter platement les arguments, acquiescer avec plus ou moins de conviction et remonter le tout à la cuisine en tremblotant de tout son corps. 

Pour le client, le choix de la transparence peut bouleverser tout le repas. Il peut regretter la trop grande nonchalance de son interlocuteur qui ne s’est pas imposé en contradicteur ou qui n’a pas su acquiescer avec la juste déférence, ou se repentir sur son propre emportement qui a inutilement choqué son humble serviteur. À coup sûr, le charme est rompu, le service se tend, le personnel de salle ose à peine reposer la question fatidique au plat suivant. La crainte d’une montée des hostilités n’est pas loin si la suite du repas ne donne pas satisfaction. Un lourd silence de part et d’autre s’instaure et il faut alors tout le tact du responsable de salle pour imposer une trêve des confiseurs. En cuisine, le chef, averti, réagira en fonction de sa personnalité, entre la remise en cause immédiate et l’ignorance totale des propos négatifs. Peut-être choisira-t-il de se rendre au chevet du rouspéteur mais, en plein service, c’est accepter le risque de prendre des coups et de ne les rendre qu’avec retenue. Quid du geste commercial pour adoucir la pilule : un plat ajouté au menu ou un plat décompté de l’addition finale, ou rien du tout ? Reste enfin le dernier risque, celui du commentaire en ligne. Certains professionnels s’en moquent, d’autres en dorment mal. « Comment réagir face au client mécontent » devrait faire l’objet d’un module obligatoire dans les écoles spécialisées. 

Un conseil de client à client ? À la question du « ça vous a plu ? », il suffit de répondre sur un ton légèrement enjoué, mais un brin ferme, un « Très bien, merci ». Croyez-en mon expérience, jamais le serveur ou la serveuse ne reviendra à la charge pour en savoir plus. Mangeur comme serveur, chacun trouve son compte dans l’usage poli d’une novlangue qui ne blesse personne.

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Photographie | Mateusz Zatorski

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