«Bonne expérience», «plat signature», «on va partir sur»… Ces expressions qui nous exaspèrent au restaurant

«Bonne expérience», «plat signature», «on va partir sur»… Ces expressions qui nous exaspèrent au restaurant

Par Stéphane Durand-Souffland et Emmanuel RubinPublié le 18 janvier à 11h00, mis à jour le 18 janvier à 16h51

Sus aux mots indigestes ! Adobe Stock – photomontage Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/gastronomie/bonne-experience-plat-signature-on-va-partir-sur-ces-expressions-qui-nous-insupportent-au-restaurant-20250118?utm_source=premium&utm_medium=email&utm_campaign=20250120_NL_LETTREFIGAROPREMIUM&een=a7966bf2e0cb33c7d54a65781f044bc7&seen=2&m_i=rEIPhaLs_svJ6t_D8IcfTvUEs4Vg%2B8lEv9z3LaxhFdDuwAXrf6MQChkWq5hJh1icj0EWrUVDvVCPlAdT3zbhrRZ2P6zGwjerrg

«Bonne expérience», «plat signature», «on va partir sur»… Ces expressions qui nous exaspèrent au restaurant

Par Stéphane Durand-Souffland et Emmanuel RubinPublié le 18 janvier à 11h00, mis à jour le 18 janvier à 16h51Sujets

Le meilleur des repas peut être gâché par une présentation indélicate. Florilège des pires formules de serveurs, maîtres d’hôtel et sommeliers.

La gourmandise et la bonne chère n’appellent pas le silence. Bien au contraire, elles se racontent, se chantent, appellent le vers libre et le verre plein. Mais le mot juste, celui qui donne faim, est rare au restaurant. Seuls quelques artistes du service déclament la carte comme d’autres du Verlaine et vous transportent avant les mises en bouche. Si les intitulés boursouflés d’hier ont tendance à disparaître des cartes, ils se trouvent supplantés par une logorrhée creuse, un « storytelling » stérile, un bla-bla d’ameublement, discours admirablement tue-l’amour généralement centré sur la personnalité du Chef, avec un grand « C », personnage mythifié, adulé, fantasmé. Cette liturgie de l’ego s’appuie sur de fastidieuses psalmodies dont nous avons recensé les plus urticantes. Nous joignons une prière à cette triste recension : par pitié, épargnez-nous les lieux communs et ne nous murmurez que ce qui est nécessaire à notre bonheur. À découvrir

  • «C’est pour dîner ?»

Formidable tournure qui n’a de mérite que durer, année après année. Aucun sens mais vrai sketch dont se moqua à juste titre un certain humoriste. C’est pour dîner ? Non, pour faire un tennis !

  • «Vous connaissez le concept ?»

Même aux États-Unis où la food a toujours un petit arrière-goût de business, on ne perd pas son temps à ce genre de précaution coupe-faim. Prière là-bas de savoir où l’on met les pieds ou de suivre bêtement le mouvement. Du côté de chez nous, faut que ça la ramène en ajoutant de l’épaisseur, du lourdingue. Depuis que nos restaurateurs sont sortis de Sciences Éco, ils ne peuvent s’empêcher de nous sortir leur mauvais cours de marketing et de raconter leurs adresses comme on déballe un business plan. La plupart du temps, tous plus crétins les uns que les autres, car si personne ne sait la saveur exacte d’un concept, tout le monde entend sa première syllabe. Bientôt, déjà, remplacé par le pathétique « j’vous pitche ? ».

  • «Je vous propose un peu de lecture ?» (en tendant la carte)

La variante interrogative est encore plus agaçante, car il est évident que nous allons la lire, cette carte. Ce n’est d’ailleurs pas tant le service qui la propose que le client qui la réclame. En inversant l’ordre des choses, la maison prend l’ascendant sur le client, placé en situation de devoir surmonter une épreuve alors que la découverte des menus devrait constituer un moment de pur plaisir. La première des mises en bouche, et non un concours d’entrée.

  • «Avez-vous des allergies, des contre-indications alimentaires  

En même temps que, ces dernières années, l’appétit urbain et contemporain rejoignait le tristement fameux « club des sans » (gluten, lactose, arachide, sulfite, alcool, plaisir), les préposés à la commande viraient en docteur Knock. Ça vous gratouille, vous chatouille, vous barbouille ? On l’a écrit cent fois, répété mille, mais ce souci hygiénique du service inquiète plus qu’il ne soigne. La question à peine posée qu’on se prend à se tâter le ventre, se trifouiller le pancréas, se chercher des plaques à l’avant-bras, sortir sa carte Vitale et remercier le docteur de nous avoir rappelé que vivre tue.

  • «Balade dans l’univers du Chef»

Le Chef, divinité célébrée par sa brigade et la salle, dont les initiales calligraphiées ornent ronds de serviette, couverts et menus – nous en connaissons même un qui a accroché un portrait de lui dans les toilettes – n’a pas du talent, ni même un style. Il a créé un « univers ». Chaque bouchée, chaque client tourne en orbite autour de sa personne. Dans cette cosmogonie, ne vous étonnez pas de croiser la planète « grand-mère du Chef » (lire ci-après).

  • «Comme l’aimait la grand-mère du Chef»

L’ascendance du Chef est convoquée pour valider la recette d’un plat tirée de l’admirable répertoire de la cuisine de ménage française qui appartient – entre autres – à toutes nos grands-mères. Celle du Chef n’a, comme la vôtre, pas connu la folie du moléculaire, la supercherie du déstructuré, l’imposture du revisité. Elle a le droit d’être tranquille là où elle se trouve et de ne pas devenir complice malgré elle de la filouterie de son descendant tatoué des pieds à la tête, qui a appris à faire le riz au lait non pas auprès de sa Mamie mais chez son premier maître de stage.

  • «C’est notre plat signature  

Bienvenue dans la recette frime, l’ego en mâche, la signature imposture, le copyright faussaire, l’assiette souvent surgie d’un de ces crânes « Top Chef » qui n’a pas dix ans de métier mais ne se prend déjà plus pour n’importe quoi depuis que sa popote s’estampille « vue à la TV ». Le voilà qui se presse d’autoproclamer son plat « signature » juste avant de coller sa bobine à l’écran selfie. Neuf fois sur dix, ce plat n’a aucun intérêt et guère plus d’originalité si ce n’est celle de se dire. Avouons que les chefs d’avant avaient encore cette politesse de ne parler que de spécialité ou, mieux, de la boucler. Faut-il ainsi rappeler que ce n’est pas le cuisinier qui décide de son talent mais, plus sûrement, son client ?

  • «Et voici le plat revisité»

Le plat « revisité » est un bon vieux classique dans lequel le Chef remplace un ingrédient indémodable par un autre très à la mode, onéreux si possible. Exemple : une blanquette de veau où le filet de citron céderait sa place à un zeste de yuzu, intrusion exotique destinée à « twister » la recette codifiée par Escoffier. L’exercice est rarement bouleversant, puisque les classiques tiennent la route sans qu’il soit besoin de les chahuter – c’est d’ailleurs à cela qu’on les reconnaît.

  • «Vous allez voir, c’est un plat un peu coquin !»

À la succession du plat dit « canaille », un adjectif d’air du temps fleurit aux bouches des nouvelles saisons ! Façon crucruche, nunuche d’estimer le potentiel érotique d’un plat dont les petits couples Tinder semblent s’émoustiller lorsqu’ils croisent leurs couverts et leurs paresses. Le service faussement complice annonce la chose comme il claquerait une œillade bien lourde. Souvent à tort et surtout de travers, le coquin s’en mêle dès que la recette y met moins du sien que beaucoup de volume, de mou, de sauce, de glucose, de chantilly, de meringue pavlova et de coulis chocolat.

  • «Alors, là, c’est un vigneron qui travaille super bien…»

Si la vieille sommellerie empoisonnait la galerie de sa morgue à déballer ses grands crus, la jeune garde fatigue son monde à déballer ses forcément quilles et son fatalement vivant (manquerait plus qu’ils soient morts) sur l’air du faux cool. Les petits bavards des caves à manger et autres bistronomiques (on l’a oublié celui-là) ont une fâcheuse tendance à nous blablater des heures durant la pénible SVT des vignerons paysans avant de nous «  faire partir » on ne sait où sans se soucier que l’on n’ait franchement déjà plus envie de les suivre.

  • «On va partir sur…»

L’une des formules les plus énigmatiques qui soient. On ne part nulle part quand on est assis. Surtout pas sur une assiette. « Partir sur » un plat, c’est comme se trouver « sur Biarritz » pendant les vacances. Peut-être la proposition est-elle l’extension du concept mégalomaniaque d’« univers du Chef » : on ne vient pas manger mais s’embarquer dans une balade intersidérale qui vous propulse sur la planète Chef. Gardons plutôt les pieds sur terre, les fesses calées dans un bon fauteuil, merci d’avance.

  • «Et surtout à déguster dans l’ordre indiqué»

L’arrivée des amuse-bouches est propice à une poussée de caporalisme. On en dispose une volée devant vous, parfois sur des présentoirs ridicules, le service vous explique en les désignant (de l’auriculaire) que « vous êtes sur » ceci, « sur » cela, qu’il faut gober telle préparation « en une seule bouchée ». Surtout, il vous est enjoint de suivre l’ordre préconisé. Révoltez-vous et faites exactement ce dont vous avez envie (attention tout de même aux cromesquis, une seule bouchée s’impose en effet).

  • «Alors, ici, on déguste en mode tapas…»

Expression et manière typique du moderne homo omnivorus lorsqu’il passe à table comme il scrolle son écran. Dès que la formule est de sortie, préparez-vous surtout à vous ruiner à chaque bouchée. Voilà qui lasse, du coup, on passe !

  • «La petite poêlée avec sa petite sauce»

Pour parler aux très jeunes enfants ou aux animaux de compagnie, on utilise des formules hypocoristiques. Exemples : « Oh qu’il était joli le joujou de (ici le sobriquet de votre rejeton) », ou « il avait mangé toutes ses croquettes le chienchien ? ». Transposé au restaurant, cela donne « et voici maintenant la petite poêlée de champignons de saison que va venir sublimer une petite sauce légèrement crémée ». Comme si l’introduction de l’adjectif « petit » allait grandir les mérites de l’apprêt. Nunuche à souhait. En plus, on sent venir à plein nez le « bonne continuation ».

  • «Bonne continuation»

Lorsque vous vous êtes assis à table, on ne vous a pas souhaité une bonne débutation. Ce « bonne continuation » entre chaque plat sonne comme un « bonne chance » et finit par créer l’impression que le repas se poursuit à vos risques et périls. Comme c’est rarement le cas à ce point, cela équivaut à parler pour ne rien dire. « Régalez-vous » suffirait. Ou mieux encore : rien. Le silence du service. Le face-à-face avec l’assiette commandée, dressée, présentée, et sa petite magie toujours espérée.

  • «Nous vous souhaitons une belle expérience  

Finalement, là où l’on se contentait de ce vieux pot courtois dans lequel le service trouvait l’écho d’un sincère « bon appétit » (qui ne fut d’ailleurs pas toujours du goût de l’époque) et après avoir trop longtemps subi l’intempestif « bonne continuation », la haute gastronomie qui se prend de plus en plus au sérieux nous promet l’expérience et le repas au-delà du réel. Lesquels n’arrivent à peu près jamais mais nous laissent souvent dans la peau du cobaye. On attendra donc qu’Elon Musk ouvre sa chaîne de restos pour commencer de croire à ce genre de fausse promesse.

  • «Voulez-vous vous laisser tenter par une expérience fromagère  

L’étape du plateau de fromages n’est plus plébiscitée par tous les clients dont certains, cependant, pestent si elle n’est pas proposée. Les chefs rivalisent d’ingéniosité pour écouler leurs pâtes molles et attirer le chaland dans le piège du pont-l’évêque : cave tempérée où l’on va, que c’est drôle, se faire servir, etc. Il fallait bien que des formules chantournées transformassent l’entorse à la diététique en quelque chose de vaguement polisson – une « expérience », tiens.

  • «Alors, il vous reste encore de la place pour le fromage  

Celle-là aussi impayable que légèrement datée. Depuis que les restos des villes ne courent plus les plateaux, c’est surtout ceux de province qui, entre plat et dessert, une couche, une louche, s’inquiètent ainsi des capacités de votre estomac à pouvoir encaisser. Quand on vous la lâche, on ne sait plus très bien si l’on nous prend pour le réservoir de la berline devant la pompe à essence, un boxeur semi-KO au coin du ring juste avant son dernier round ou cette oie incrédule (et vexée) à l’instant du gavage.

  • «C’est un dessert vraiment régressif  

Sans plus d’esprit que de considérer le dessert autrement qu’en retour à l’enfance, la génération Dorothée-Dolto devenue adulescente s’arrange avec elle-même en psychanalysant ainsi l’insatiable et coupable plaisir du dessert. Ajoutons entre autres puérils synonymes : ludique, récréatif, doudou.

  • «Je ne vous demande pas si ça vous a plu  

En fait si, vous nous le demandez. Mais de manière satisfaite et infantilisante, en découvrant l’assiette entièrement dévorée – mieux : saucée. La réponse est, pour celui ou celle qui la pose, dans sa propre question. Pas besoin du client ni de sa réponse, traité comme un nettoyeur d’assiette – sauf pour l’addition. Le « ça vous a plu ? » était déjà passablement agaçant, surtout dans le cadre d’un menu dégustation en huit séquences plus les desserts.

  • «À vous de travailler» (en tendant le terminal de paiement)

C’est le moment des additions, le service va pouvoir souffler. Il est temps de rendre le client à sa vie normale après l’avoir délesté d’une somme rondelette. Le « à vous de travailler » a pour objet d’adoucir le moment souvent pénible du règlement – en argot, l’addition se dit « la douloureuse ». Vous n’avez que quatre chiffres à pianoter, le sourire désarmant, voire l’amorce de clin d’œil de votre interlocuteur anesthésie tout esprit critique. C’est généralement sur le trottoir que vous réalisez que vous avez travaillé, et qu’en plus, c’est vous qui avez payé.

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