Pourquoi ils quittent l’hôtellerie et la restauration / par Anne Eveillard
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Faute de salariés, un restaurateur orléanais recrute en menant une campagne d’affichage sauvage…
Paris (75) Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux professionnels des CHR cherchent à changer de vie. Les horaires à rallonge, le poids d’une hiérarchie, les salaires peu attractifs font partie des raisons du ras-le-bol. Certains ont déjà sauté le pas. Ils racontent.
“Depuis ces derniers mois, les bilans de compétences remportent un vif succès auprès des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration.” C’est le constat de Julia Rousseau, consultante en ressources humaines au sein d’Ethique RH. Spécialiste du secteur des CHR, elle ajoute : “Le premier confinement a fait prendre conscience à beaucoup qu’ils avaient envie de souffler, de vivre dans un appartement plus grand, d’avoir un extérieur, de passer moins de temps dans les transports en commun, de profiter davantage de leurs enfants, d’avoir un rythme plus ‘léger’ et de se recentrer sur eux-mêmes.”
C’est comme ça que deux salariés du Bullier, brasserie parisienne du XIVe arrondissement, ont rendu leur tablier : l’un pour ouvrir une épicerie fine à Neuilly (Hauts-de-Seine), l’autre pour devenir cordonnier à Beauvais (Oise). Louis Jacquemin, quant à lui, a profité de la fermeture définitive du restaurant parisien où il était serveur, pour développer l’un de ses talents : la réparation des deux roues. À 22 ans, il vient de rejoindre l’atelier de la société Zeride, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). “J’apprends beaucoup sur le vélo électrique, le scooter… Je sais même changer un pare-brise !” Ce qui l’a décidé à ne pas récidiver dans la restauration : “Ici, le rythme est plus calme, comparé à un coup de feu dans un restaurant. J’ai des horaires fixes et je suis seul dans l’atelier, si bien que je peux travailler sans masque.”
“Je travaillais de 9 heures à minuit pour 2 500 € net par mois
“Parmi les métiers les plus recherchés par les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration, j’ai noté un engouement pour les statuts d’indépendants, comme dans l’immobilier ou la décoration. Le secteur bancaire et celui des ressources humaines attirent également, car ils permettent d’avoir un plan de carrière et d’évoluer au sein d’un groupe”, observe Julia Rousseau.
Les choix d’Olivier Charaven et Jordi Argiles reflètent cette tendance. À 51 ans, le premier a levé le pied sur son ancien métier de conférencier sur la gastronomie et l’histoire de l’art, qu’il exerçait dans des hôtels franciliens, pour rejoindre un groupe immobilier. “Je suis en télétravail, mais je garde le contact avec les clients, comme dans les hôtels, lors des visites d’appartements et de maison”, confie-t-il. Le second, pour sa part, a opté pour un poste de commercial dans une start-up. “Avant, je dirigeais un restaurant à Bordeaux [Gironde, NDLR]. Mais lorsqu’on a vidé les frigos le 16 mars 2020, je me suis dit que je n’aurais plus de boulot avant longtemps…” Jordi Argiles décide alors de se former en accéléré dans une école de commerce, “à raison de 50 heures par semaine pendant trois mois”. Puis, il enchaîne avec deux périodes de six mois en entreprise, “pour avoir une expérience de terrain”.
Résultat : “Aujourd’hui, je suis un digital nomade, avec des horaires de bureau. Rien à voir avec la restauration, où je n’avais pas de week-end, j’étais sur le pont de 9 heures à minuit, je rentrais fatigué chez moi et je gagnais 2 500 € net par mois, contre près de 4 000 actuellement.” Cerise sur le gâteau pour ce néo-télétravailleur de 28 ans : “Cet automne, je quitte la France pour emménager à Malaga et partager mes journées entre travail et loisirs.”
“Il serait judicieux de refondre des pratiques du secteur des CHR”
“Nous perdons de vraies pépites en ce moment, dans l’hôtellerie-restauration”, regrette Julia Rousseau. La spécialiste en ressources humaines reconnaît que “le rythme de travail et le manque de reconnaissance incitent à quitter les CHR. Il serait judicieux de refondre des pratiques du secteur, par exemple en revalorisant des salaires, pour attirer dès le lycée de nouveaux profils”.
Elle suggère aussi la création de “groupes de travail pluridisciplinaires, pour mener une réflexion sur la fidélisation des acteurs issus de l’hôtellerie-restauration”. Enfin, elle nuance l’actuelle fuite de talents en soulignant que certains de ses clients la sollicitent aussi “pour quitter d’autres secteurs et se tourner vers la cuisine ou la pâtisserie”. “Une gemmologue est en cours de reprise d’un petit hôtel-restaurant en Bourgogne”, confie Julia Rousseau. On savait le secteur des CHR en pleine mutation. La crise sanitaire en accentue le trait et en accélère le rythme.
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