Étoile rouge et service en salle : le Michelin, entre déni et évidence

Étoile rouge et service en salle : le Michelin, entre déni et évidence


Franck Pinay-Rabaroust

Alors que le Bibendum demeure arcbouté sur le discours selon lequel seule la qualité de l’assiette entre en ligne de compte pour accorder ses étoiles rouges, les professionnels plaident très largement pour que le Michelin prenne en compte officiellement le service en salle. Ce qui serait déjà factuellement le cas selon certains.

Le sujet agite l’écosystème du restaurant depuis de très longues années sans que l’on ne sache trop par quel bout le prendre. Lequel ? Celui des critères pour gagner une ou des étoiles rouges. Les pragmatiques répondront que les cinq critères sont connus depuis quelques années et qu’il ne faut pas chercher plus loin. Les réalistes assureront que le sujet est bien plus complexe, intégrant entre autres stratégie territoriale, intérêts politiques, accointances personnelles et arrangements entre amis. Vaste sujet aussi tabou que délicat. 

Et puis il y a la question de la prise en compte du service en salle, cette dimension tangible et hautement humaine du repas. Sur scène, celle du Michelin ou ailleurs, les acteurs de la « cuisine » rappellent régulièrement l’importance de la salle pour magnifier leurs plats. Historiquement, après avoir dominé les débats, la salle s’est effacée au profit des chefs qui ont su prendre la lumière médiatique grâce à quelques émissions bien connues. Au mitan des années 20 du 21e siècle, les cartes se rebattent doucement et le service attend sa revanche. 

Pourtant, le Bibendum, droit ses bottes en caoutchouc, assure mordicus que l’assiette demeure l’alpha et l’oméga de sa notation. Une bonne position ? Pas vraiment selon notre sondage réalisé via le compte Instagram de Bouillantes. Sur les quelque 900 votants, 88% assurent qu’il faut intégrer le service dans la notation, contre seulement 9% (et 3% qui ne se prononcent pas). Un résultat sans appel. 

Mais, avec le Michelin, il y a souvent la théorie et la pratique. Pour de nombreux professionnels, qui ont commenté le sondage en message privé, le Bibendum prendrait déjà en compte la qualité du service pour accorder ses étoiles rouges, surtout pour les niveaux deux et trois étoiles. Cela serait particulièrement vrai… en France puisque la tradition du « grand » restaurant, dans sa dimension luxueuse, est ancienne. Une ancienne responsable du guide avait d’ailleurs confié à Bouillantes il y a une dizaine d’années que toute « l’expérience » était prise en compte par les inspecteurs. Dans ses communiqués de presse, le Bibendum use d’ailleurs de plus en plus du terme « expérience » pour justifier ses étoiles, mais aussi du qualificatif « poétique » (lire notre article ‘ Tu veux trois étoiles au guide Michelin ? Sois « poétique » ‘), ce qui renvoie incontestablement à une vision holistique du restaurant. 

Alors pourquoi le guide Michelin ne met-il pas son discours au diapason de sa propre réalité ? Au moins deux pistes peuvent être évoquées : ne pas pousser les professionnels à surinvestir dans la salle, que ce soit en termes de personnel et de décoration ; garder une notation harmonieuse (très discutable) entre tous les pays, notamment avec ceux qui n’ont pas une tradition du « grand » restaurant (en Asie, il y a des restaurants étoilés d’une très grande simplicité de cadre et de service par exemple). Mais, surtout, il est fort probable que le Bibendum n’ait aucune envie de changer un logiciel qui, bon an mal an, a fait ses preuves. 

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